
le secret de l’arbre, chapitre 8 et épilogue
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Chapitre 8 :
Comme une chaussure coincée dans la boue, la montre se détacha dans un son de plop visqueux. Bertille bascula en arrière et tomba sur le dos. La montre atterrit sur sa poitrine, l’éclaboussant de pus noir.
— Est-ce que ça va petit gland ? Comment te sens tu ? dit Bolet inquiet.
Bertille se releva, rangea son petit couteau et prit la montre toujours dans ses bras.
— Ça ira. Partons vite d’ici. Elle s’inclina. Madame, je vous promets de réparer les erreurs de ma famille.
La Pleurote baissa la tête tristement et les laissa passer. Prenant leur spore à leur cou, Bolet et L’amanite ouvrirent la course, se précipitant dans le couloir étroit. Il stoppa juste avant la sortie, les pleurotes n’étaient plus là. Seul restaient les traces de bagarre avec la pie. L’entrée était couverte de morceaux de plumes et de champignons… Ils sortirent doucement. L’oiseau était sûrement là, caché quelque part en hauteur.
— Vous voilà enfin. Dit une voix au-dessus d’eux, le groupe leva les yeux. La pie les regardait d’un air satisfait.
En trois coups d’ailes, elle descendit et atterrit devant Bertille. Elle baissa la tête d’un air mauvais. L’amanite s’avança courageusement.
— Nous vous avions demandé une diversion, pas un massacre. Quel est le réel but de votre mascarade ?
La pie rigola.
— Enfin ! Cela faisait tellement longtemps que je souhaitais mettre la patte sur cet objet, mais je suis trop grande pour pénétrer dans l’arbre. Sans votre aide, petits CFE, je n’y serais jamais arrivée. Maintenant, dit-elle en s’avançant, donnez-moi “le temps qui passe”.
Bertille effrayée, recula doucement. Si la pie s’empare de la montre, tout sera perdu.
— Non, vous ne pouvez pas l’avoir, cette montre est à mon grand-père ! Et Si vous l’emmenez dans un autre arbre, vous allez contaminer toute la forêt. Je ne vous laisserai jamais la prendre !
La pie, mécontente, claqua du bec.
— Je te conseille de me la donner rapidement, qu’est-ce qu’un gland comme toi peut comprendre aux belles choses ? Certes “le temps qui passe” est dangereux, mais n’en vaut-il pas la peine ? Le père de mon père avait déjà essayé de saisir cet objet. L’enfant et l’arbre l’ont caché aux yeux du monde. Soi-disant trop lourd à porter. Les imbéciles ! Mais les pies n’ont aucun problème pour gérer ce genre de fardeau, surtout quand ils sont aussi beaux.
Avide, la pie allait donner un grand coup de bec sur le casque de Bertille, mais les deux champignons avaient profité de son monologue pour l’encercler. Ils lui bondirent dessus et crièrent à l’unisson !
— Cours petit gland ! Cours jusqu’au cercle des CFE, ils te protégeront !
— Je ne suis pas un gland ! hurla Bertille en prenant ses jambes à son coup.
Bertille courut, aussi vite qu’elle le put, l’air froid lui faisait mal à la gorge. Elle avait un point de côté. Elle voulait s’arrêter pour reprendre son souffle, mais le bruit du combat à l’arrière l’en dissuadait.
La montre contre son torse semblait lui parler.
Tic Tac, pas la peine de fuir, tac tic, tu n’y arriveras, ti tac, arrête de courir, ti tac, tu n’y arriveras jamais, tic tac, la forêt disparaitra. ….Tic …. Tac….tic…
La substance noire sortait de la montre, se répandit sur son torse, monta le long de sa gorge, lui rendant la respiration plus difficile. En même temps que la substance noire progressait, l’angoisse, la peur, la colère montaient.
Au moment où le gel noir arriva à sa bouche, elle vit les lueurs du cercle, l’espoir revint et fit reculer le gel visqueux. Elle courut jusqu’au centre du cercle, et s’écroula à genoux à bout de souffle.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle avait repris sa taille normale.
Elle s’assit en tailleur, sa respiration était toujours haletante mais beaucoup plus facile maintenant qu’elle avait de grands poumons. Elle rigola.
La tache noire de la montre se résorbait doucement au contact de sa joie.
Elle regarda les petits champignons en cercle qui la regardaient avec de grands yeux ronds.
— Je vous avais bien dit que je n’étais pas un gland dit-elle en rigolant.
epilogue
Bertille expliqua ce qu’elle savait aux petits champignons, ça lui faisait bizarre de les voir si petits.
— L’enquête n’est pas finie, jeune chêne, dit le plus vieux des champignons (Bertille tiqua mais s’abstint, au moins elle n’était plus un gland). Cette montre, associée à des mots mauvais, a rendu l’arbre malade, il faut que tu retrouves celui qui a fait ça et que vous trouviez un remède pour réparer le mal qui a été fait.
Bertille était bien d’accord, elle salua les Champignons et partit en direction de la maison.
Son père était là devant la maison, très en colère à cause du comportement de sa fille. Bertille aurait dû être effrayée, mais elle avait épuisé son lot de peur pour la journée.
Au moment où son père voulut la gronder, elle ouvrit sa main, pleine de pus noir avec la montre au milieu. Surpris, toute sa colère se dissipa. Il prit Bertille dans ses bras et rentra vite à la maison pour nettoyer les mains de sa fille.
— Comment t’es-tu retrouvée dans cet état ? Et ou as-tu trouvé cette montre à gousset ? demanda le père, qui ne savait pas s’il devait être inquiet ou en colère.
— C’est cette montre qui a rendu l’arbre malade, lui répondu Bertille, mais je n’ai pas encore bien compris pourquoi. En tout cas, elle n’est plus dans l’arbre, elle ne lui fera donc plus de mal.
Son père, ému, mit la montre dans un torchon et essaya de la nettoyer.
— J’avais oublié où je l’avais cachée. J’ai toujours détesté cette montre. Mon père a toujours été méprisant et a toujours eu des mots durs envers moi, peu importe mes actions. Toujours, il fixait cette montre avant de faire une réflexion blessante. Ma colère s’est reportée contre elle, je me disais que c’était elle qui lui soufflait des méchancetés à mon égard. Un jour où il l’avait oubliée sur son bureau, je m’en suis saisi et j’ai couru la cacher au fond du jardin, là où personne ne pourrait l’entendre, pas même moi. Je ne pensais pas que l’argent pouvait rendre un arbre malade.
—Tu sais papa, c’est pas l’argent de la montre qui a rendu l’arbre malade, mais bien la haine et la colère qu’elle contient. Je suis d’accord avec toi. C’est sûrement elle qui a soufflé ces vilains mots à l’oreille de ton papa.
Le père de Bertille rigola.
— La vie est beaucoup plus compliquée que cela ma fille. J’ai compris bien plus tard qu’il était froid non pas parce qu’il me détestait, mais parce qu’il ne savait pas comment exprimer son amour. Ce n’était pas une époque où les pères pouvaient se permettre d’être affectueux envers les enfants. On disait que trop de tendresse finirait par rendre molles et pourrir leur progéniture. Ce n’est pas simple d’être un adulte, et c’est encore plus compliqué d’élever des enfants. Surtout une petite Bertille. Dit-il en tapotant chaleureusement le casque de sa fille.
Bertille n’était pas dupe. Elle était sûre que ce maudit bijou y était pour quelque chose, mais son père ne l’écoutait plus. Il rangea la montre dans le premier tiroir du vieux bureau de papi, le ferma mais laissa la clef dessus. Bertille n’avait pas dit son dernier mot, car contrairement à son père, sa génération avait un avantage sur la montre : Internet. En tapant objet maudit dans google, elle tomba sur des sites ésotériques qui lui donnèrent plusieurs solutions dont une facile à mettre en place : enterrer l’objet maudit dans du sel. Bertille piqua tout le sel disponible dans la cuisine et monta à l’étage. Elle déverrouilla le tiroir, la montre à gousset tic taquait d’un air menaçant, la petite fille lui tira la langue et déversa deux kilos de sels de Guérande sur l’horlogerie maudite. Elle réussit tant bien que mal à verrouiller le tiroir malgré le sel qui débordait et cacha la clef là où personne ne la trouverait jamais, dans les plis du gros canapé.
Bertille finit par convaincre son père de ne pas abattre l’arbre tout de suite, avec un peu de chance le châtaignier finirait par guérir, et puis c’était un peu sa faute à lui s’il était malade. Le lendemain, elle repartit au cercle de champignons. Elle avait trouvé comment rentrer et sortir du cercle. Pour rapetisser : entrer dans le cercle en fermant les yeux et sauter à cloche pied jusqu’au centre, tourner trois fois sur soi-même, ouvrir les yeux et voilà, la réunion avec les champignons pouvait commencer (pour sortir du cercle, inverser le rituel).
Elle s’assit entre Amanite et Bolet et sortit de son sac son livre préféré.
— Dans mon encyclopédie de la forêt mystérieuse, ils disent que les plantes sont très sensibles et peuvent dépérir sous l’effet de la haine, je pense que pour soigner le châtaignier, il lui faudra beaucoup de tendresse et beaucoup d’amour.
Les champignons étaient bien d’accord, et il fut décidé que toutes les fins d’après-midi, Bertille irait s’occuper de l’arbre, lui raconter une histoire, lui faire un câlin, ou tout simplement rester à rêvasser sous ses branches. En gardant son casque bien sûr, car la pie lui en voulait toujours et venait la saluer d’un coup de bec sur la tête.
Quelques mois ont passé, on voit toujours les plaies noires le long de l’arbre, mais les feuilles ont reverdi, et souvent le soir si vous tendez l’oreille, vous pouvez entendre les chuchotements des champignons qui surveillent la forêt.

illustration de gwenn-illustrations. Gouache et crayons de couleur.